Madame la Ministre,
Il y a quelques jours, en rentrant chez moi tard le soir en voiture, j’ai aperçu sur le bord de la route deux adolescents assis recroquevillés l’un contre l’autre, immobiles.
Il faisait très froid, la neige commençait à tomber et la météo avait annoncé de fortes gelées dans la nuit. Je me suis arrêté. Ils avaient une quinzaine d’années. Ils ne parlaient pas français. Ils étaient trempés, frigorifiés, terrorisés.
Je me suis demandé ce que je devais faire :
- Les laisser là se débrouiller parce qu’après tout, je ne suis pas censé prendre en charge toute la misère du monde ?
Oui, mais je pourrais alors être poursuivi pour non-assistance à personne en danger (article 223-6 du Code pénal : « Sera puni des mêmes peines [cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende] quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter. »)
- Les emmener chez moi pour leur donner un peu à manger et éventuellement les laisser dormir au chaud jusqu’au lendemain ?
Oui, mais je pourrais alors être poursuivi pour aide au séjour d’un étranger en France (article L. 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Toute personne qui aura […] facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros. »)
- Les emmener au commissariat le plus proche qui les remettra à la préfecture qui les enfermera en Centre de rétention administrative avant de les renvoyer dans leur pays où ils recommenceront à crever de faim si des miliciens ne les exterminent pas avant (parce qu’ils ne sont évidemment pas venus en France pour le plaisir : ils sont venus pour sauver leur peau !)
Oui, mais ma conscience m’interdit cette solution.
Qu’a fait Martine Landry, militante d’Amnesty International France, dans une situation analogue ? Elle a récupéré au poste frontière de Menton-Vintimille deux mineurs d’origine guinéenne âgés de 15 ans, que la police italienne avait renvoyés à pied vers la France. Elle les a accompagnés à la Police aux frontières, munie de documents attestant de leur demande de prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance.
Celle-ci a effectivement pris en charge ces deux enfants par la suite.
Martine Landry sera jugée à Nice, lundi 8 janvier 2018. Il lui est reproché d’avoir « facilité l’entrée de deux mineurs étrangers en situation irrégulière ». Elle risque un emprisonnement de cinq ans et une amende de 30 000 euros (article L. 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
Si elle n’avait rien fait, elle risquait peut-être cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article 223-6 du Code pénal). C’était pire !
Amnesty International s’insurge avec raison contre cette criminalisation insupportable [https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/une-de-nos-membres-poursuivie-pour-delit-de-solidarite].
À la frontière française, les enfants non accompagnés ne font pas l’objet de l’attention requise au regard de leur situation de vulnérabilité. C’est pourtant ce qu’exige la législation française relative à la protection de l’enfance. Les enfants sont renvoyés de façon expéditive et sans possibilité d’exercer leurs droits ni même d’être accompagnés.
Amnesty International a reçu le prix Nobel de la paix en 1977. Ses membres ne sont ni des terroristes ni des « passeurs » qui se font des fortunes pour faire entrer en France des étrangers sans papiers. Pas plus que les membres du Secours populaire ou des Restos du cœur ; et pas plus que Cédric Herrou, Rob Lawrie ou Pierre-Alain Mannoni. Tous ces bénévoles sont des humains qui défendent les droits humains, qui ont des aspirations humanitaires de fraternité, de solidarité, d’accueil, de partage et d’entraide.
Et si on leur interdit d’exercer leur bienveillance, le monde va devenir invivable.
Chacun pour soi et que les autres crèvent ! Est-ce vraiment un idéal ?
Il faut en finir avec cette législation schizophrène et absolument insupportable, qui exige à la fois :
- que l’on porte secours aux personnes en situation de détresse
- et que l’on s’abstienne de porter secours aux étrangers en situation de détresse.
Des associations se sont élevées depuis quelques années contre ce qu’elles appellent le « délit de solidarité ».
Cette expression absurde souligne l’absurdité de notre législation actuelle.
Des deux articles de loi en question, l’un (au moins) est en trop et doit être supprimé.
Dans l’espoir que vous aurez à cœur de normaliser cette situation inepte,
Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma très haute considération.
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